Elle m’avait nargué, cette foutu missive au cachet brisée. Tachée de vin, l’écriture manuscrite semblait rire et se moquer sous le regard que j’avais posé dessus à mon réveil. Une écriture même pas issue de la plume de mon frère.

Rapidement agacé, je me suis alors levé, ignorant l’appel quotidien du lit, pour la froisser et la jeter dans la corbeille. Elle n’y passa qu’un court instant avant que je ne la récupère et l’observe avec résolution. Foi de Réginald, le prochain courrier du Palais sera une demande écrite par mon frère lui-même. S' il ne désirait pas m'écouter actuellement, j'allais m’arranger pour qu’il n’en ai plus le choix.

Reposant la lettre après l’avoir lissé du mieux que je pouvais, j’entrepris de me préparer en songeant à un plan de bataille comme lorsque j’étudiais les stratégies militaires à l’armée. J’avais toujours considéré Alexander comme une personne que je ne pouvais pas battre, ne serait-ce que par le soutien qu’il possédait, autant du peuple que de l’aristocratie. C’était un Roi apprécié contre qui je ne pouvais lutter. Même si Valerius en avait récupéré la couronne, il n’en possédait pas pour autant les liens loyaux et indestructibles que c’était fait notre aîné. Si je voulais le battre, m’imposer contre lui, j’allais devoir réduire ses rangs et augmenter les miens.

Si mon silence et mon calme contre nature intrigua Herle alors qu’il me secondait dans mon habillage, il n’en pipa mot, se contentant de veiller, comme toujours, à ce que j’ai l’air parfait même si ce ne serait que quelques instants. Il faut dire que le matin, j’avais plutôt tendance à pester contre le jour qui se lève trop vite, à réclamer une bouteille de vin pour me rafraîchir après quelques exercices ou encore à le taquiner sur le fait qu’il était aussi rigide que j’étais débauché.

Quand je romps le silence, le visage sévère, toujours furieux contre Valérius, ce fut pour lui demander quelques précisions sur Londonia. Des questions qui pouvaient sembler banales mais qui ne l’étaient pas. J’avais quelques idées en tête et des pions à poser. Certains finiront sans doute à l’eau mais d’autres, si je les utilise bien, pourraient avoir un effet boule de neige des plus appréciés.

C’est à cheval, accompagné de mon valet, que je rejoins la ville en suivant un trajet précis. Je ne pose pieds à terre qu’une fois arrivé devant le Southwark Market. Herle me regarde en haussant un sourcil avant de prendre les rênes de nos montures pour aller les déposer à l’abri. Il faut dire que mes sorties en ville visent en général surtout les tavernes et les bordels bien plus que les marchés communs. Je déambule déjà dans cet endroit coloré, bruyant et odorant quand il revient à mes côtés.

Je réponds d’un sourire aux révérences, m’intéresse à certaines marchandises que je ne connais pas, écoute même d’une oreille la plainte d’un marchand. Pour autant, je reste moi, mon regard se perdant sur bien des jupes et jupons et goûtant à quelques breuvages alcoolisés que l’on me propose. Herle voit cela du mauvais œil et je sais très bien qu’il a en lui cette peur que l’on m’empoisonne. Personnellement, je ne l’ai pas. Il me faudra bien rejoindre Dieu un jour ou l’autre et en attendant, j’aurais profité de la vie avec grand plaisir.

Mon attention est portée sur des rubans pastel sur une robe d’un doux bleu. La silhouette bien habillé quitte l’un des magasins, s’éloignant avec la grâce d’une femme de bonne famille. Une aristocrate ? Les dames de se rangs ne préfèrent-elles pas avoir leur styliste qui se déplace à leur domicile plutôt que de se perdre dans ce genre d’endroit en général ? J’ai toujours pensé aux dames ainsi, comme des oiseaux dans des cages dorées, que je viens libérer le temps d’un baiser ou d’une nuit… Qui peut-il bien y avoir dans cet endroit qui puisse les attirer hors de leurs conforts ?

Prenant congé des marchands, non sans avoir fini un dernier verre et sans avoir glissé un baiser sur la main d’une de ses demoiselles, c’est par curiosité que je décide de franchir les portes de la petite boutique avec mon valet toujours sur mes talons. Un petit hall avec d’une part un comptoir fouillis derrière lequel semblait attendre une armée de robes et de l’autre celles pas encore fini, pleine d’aiguille et de tissus lâche pas encore découpé. Est-ce vraiment uniquement pour des robes que des hautes dames viennent jusqu’ici ? Alors que Herle, droit, toussote fortement pour attirer l’attention du possible propriétaire ou locataire des lieux, je m’approche d’une des créations qui attend patiemment sur son mannequin. Je glisse mes doigts gantés sur l’un des rubans. C’est plutôt mignon…

Une petite voix, venue du tréfonds de la boutique, m’intima de patienter un instant en s’excusant. J’en  profitais pour observer davantage les robes en ignorant le furtif froncement de sourcils d’Herle, bien plus à cheval sur le protocole et l'étiquette que moi-même. Lui si impassible face à mes frasques ne pu s’empêcher pourtant de reprendre la jeune femme quand elle vient se présenter devant moi. Sa voix cassante eut l’effet d’un coup de tonner dans ce petit endroit :

“Je vous prierai de bien vouloir surveillez vos manières Madame. Vous êtes en présence de sa Majesté le P…”

Sa voix se coupa quand je lui fit signe de la main de se taire et de ne rien rajouter, un sourire amusé aux lèvres. Allons donc, sa révérence n’était pas assez basse et relevée sans mon accord ? Sa proximité bien trop proche pour une simple roturière ? Nous n’étions pas à la cour ici, hors Herle, personne ne verrait ce manquement d’étiquette. Reposant mon regard sur la jeune femme, je m’inclinais à peine mais avec élégance, une main sur la poitrine, l’autre dans le dos.

“Enchanté de vous connaître, Dame Thornton.”

Je pris le temps de la dévisager un moment sans perdre mon sourire charmeur. Elle me semblait plutôt agréable à regarder pour une simple roturière avec ses longs cheveux bleus et son regard azur qui se mariaient parfaitement avec sa robe.

“Je n’ai malheureusement pas le plaisir d’avoir une épouse à qui offrir une de vos robes, néanmoins vos créations ont l’avantage d’attirer mon regard. Elles pourraient sublimer sans aucun doute l’allure de certaines de mes connaissances. Vous parliez également d’accessoire, pourriez-vous m’en dire davantage ?”

La mode féminine… Ne me disait rien. Déshabillé c’est une chose, habillé en est une toute autre. C’était déjà un véritable calvaire parfois d’effeuiller entièrement une dame que simplement se vêtir devait être une véritable torture. Rien que les corsets semblent être une punition divine avec leurs nombreux lacets malgré que le résultat soit un délice pour les yeux. Si les sots peuvent croire que passer sous les jupons peut être une solution plus simple et plus basique, c’est qu’ils ne connaissent que ceux des paysannes… Les jupes des dames se superposaient pour un effet bouffant. Ce genre de robes était magnifique pour les soirées et les bals mais agissait comme des gardiens de la vertu pour ceux qui n’avaient pas la patience de chercher parmi les milles et une couche le cœur de la fleur. Ce fut tout un art d’apprendre à butiner malgré tout les beaux tissus qui embellissent les demoiselles.

Oh Dieu, qu’elle était mignonne cette petite roturière à s’inquiéter ainsi d’un célibat qui me convenait parfaitement. Si je me vantais facilement de pouvoir rendre une dame heureuse pour une nuit, j’étais en revanche totalement certain de la rendre malheureuse si elle s’attardait à mes côtés pendant toute une vie. Je ne suis pas contre de trouver, un jour, la femme de ma vie comme dans les romans à l’eau de rose, mais soyons honnête, cet amour là n’existe pas. Les mariages ne sont que des arrangements, des contraintes, des devoirs. Il n’y à aucune forme d’amour chez l’aristocratie et encore moins dans la royauté…

Néanmoins, j’appréciais la flatrie sur mon charme qui me fit sourire davantage et je la suivais dans la petite boutique, écoutant ses explications et observant davantage ce qu’elle désignait. Ruban, voile, col, masque, soie, dentelle, cuir, tissus, chanvre, lin … A dire vrai, je ne m'étais jamais posé la question sur la façon de fabriquer les vêtements, que ce soit les robes ou les costumes. Je ne pensais pas que c’était autant diversifié. Que m’imaginais-je ? Que c’était déjà tout fait, avec juste quelques ajustements comme la taille des manches et le rajout d'une ou deux décorations ? Plus ou moins. A voir ici la matière brute du tissu, puis les mannequin plus ou moins avancés dans leurs créations, je compris que je m’étais largement fourvoyé.

A moi d'être légèrement surpris de la voir de nouveau faire une légère révérence avant qu’elle ne me rassure sur le prix de ses créations. Quand elle frappa dans ses mains, l’air si enjouée, la tête un peu penchée sur le côté, je me fit la silencieuse remarque qu’elle aurait été encore plus mignonne avec les cheveux totalement détachés. Ils se seraient agréablement balancés sur ses épaules au rythme de ses mouvements de tête. Ah, qu’il était dommage que les cheveux détachés soient si mal perçus, personnellement je trouvais cela encore plus aguichant. Je gardais néanmoins cette réflexion pour moi, me contentant de rire légèrement :

“Vous n’avez pas à vous incliner aussi souvent Mademoiselle, nous nous sommes déjà salués. A moins que vous ne souhaitiez une danse à mes côtés ou me fausser compagnie dès à présent? ”

Herle qui nous avait suivit fixait la jeune femme sévèrement derrière mon dos, comme si il nottait mentalement toute ses fautes pour lui rappeler au moment opportun. Je me demandais parfois si il comptait aussi mes propres écarts qui sont des plus nombreux,écarts qu’il ne s’était jamais permis de me reprocher ou même de me les faire remarquer.

Croisant les bras derrière mon dos, droit, je lui demandais finalement :

“J’aimerais pouvoir observer vos rubans en vente. Votre voix déborde d’une certaine passion quand vous parlez de vos créations et de votre boutique que je ne peux que vous encourager dans cette voie avec mes modestes moyens en tant que client. Mr Thornton doit être un homme comblé de posséder une épouse tout autant investie que charmante. ”

Pensant un moment à la dernière visite de Victoire, je rajoute :

“Vous disiez avoir encore de la place pour une commande si je ne me trompe pas. Vous sentez-vous capable d’en réaliser une assez spécifique ?”

Que dire ? Cette dame était comme un feu d’artifice. Tantôt séduisante avec son regard qui se détourne, ses rougeurs à ses joues et son geste fin pour remettre une mèche derrière son oreille, tantôt elle se montrait des plus amusantes avec ses paroles dont je détournais facilement le sens dans ma tête. Piètre cavalière ? Je lui apprendrais avec plaisir l’art de la danse quand à rester auprès de moi… Oh,je serais bien goujat de le refuser. Restez donc totalement à mes côtés, tout près de moi, ma jolie Dame ~

Son visage sembla perdre un peu de sa superbe après un coup d'œil à Herle mais heureusement, la mention des rubans sembla lui donner vie à nouveau. Je hochais les paroles à son affection fort évidente pour sa boutique avant lever un sourcil à la mention de son célibat. J'oubliais parfois bien vite que les roturiers n’ont pas les mêmes besoins de mariage que les hautes sphères mais tout de même, n’est-elle pas trop jolie pour rester seule? Je comprends quelque peu son manque de temps néanmoins, toutes les maîtresses sont exigeantes, qu’elles soient artistiques ou de chaires et d’os.

Son rire pétillait et hochant la tête, je la suivis à sa demande. Quand elle se baissa légèrement pour ouvrir la malle, je ne pu m'empêcher de détourner le regard pour éviter d’avoir trop de pensé fort peu chaste, croissant celui d’Herle qui trouvait certainement cela incroyablement inconvenant. En tant que dame, ne devrait-elle pas tout mettre à sa hauteur pour éviter ce genre de position ? Si nous n’étions pas séparés par autant de caste, j’aurais bien pu voir son geste comme une façon de me séduire. Une façon qui fonctionne fort bien d’ailleurs.

Je reposais mon regard sur elle au moment où ses cheveux retombèrent en cascade sur ses épaules et dans son dos, restant un instant muet et interdit. Quand elle se tourna de nouveau vers moi avec quelques échantillons et les yeux pétillants, n’ayant apparemment nullement consciente du désir qu’elle peut attisé, je glissais une de mes mains sur mes lèvres pour retenir un nouveau rire.

“Par l’Unique, Mademoiselle Thornton…”

Je fis signe à Herle de se retourner pour protéger la pudeur de la dame, ce qu’il fit aussitôt après avoir lancer un nouveau regard assassin à la jeune femme. Je m’approchais alors d’elle, venant choisir dans ses mains un des rubans au même ton que son regard que je pris avec délicatesse entre mes doigts. L’étiquette me rappellerait surement que je suis trop proche d’elle bien que nos corps ne se touchent pas, néanmoins cette proximité m’est bien trop tentante.

“... Etes-vous ignorante à ce point de votre beauté pour vous montrer ainsi devant deux jeunes hommes ou cherchez vous spécifiquement à me séduire ?”

Je relevais mon regard dans le sien avec un sourire amusé avant de lui montrer mon choix. Nul doute que je suis déjà séduit.

“Celui-ci vous irez à merveille. Me permettez-vous de vous embellir de ce ruban, Mademoiselle ? Il se marie parfaitement avec votre regard.”

Le rouge sur ses pommettes étaient à croquer, comme l’envie de mordre dans une pomme mûre et juteuse. Pour autant, je gardais raisonnablement le peu de distance qu’il y avait entre nous, mon sourire ne me quittant pas alors qu’elle s’était mise à bégayer comme un poisson qui frétillait hors de l’eau.

Ravissante.

Après quelques rubans tombés à terre et un léger toussotement, la voilà qui reprenait très légèrement sa constance tout en m’offrant son accord. Plus que celui-ci d’ailleurs, elle m’offrit également un autre ruban avec quelques conseils sur l’endroit ou le placer. Mon regard passa de l’objet doux au sien, amusé par cette innocence qui devenait jeu.

“Je vous remercie de vos conseils, Mademoiselle, bien que je pense que vous n’avez guère besoin de ruban pour attirer le regard.”

Veillant à ne piétiner aucun des rubans au sol, je contournais la jeune femme pour me glisser dans son dos. Je pris un léger instant pour observer ses longs cheveux, ses épaules et sa fine taille avant de glisser mes doigts dans sa tignasse. Ais-je déjà dit que j’adorais les cheveux longs ? Plus encore quand ils sont parfumés. J’étais bien assez proche pour sentir le délicat parfum de violette qui en ressortait alors que je lui relevais sa toison avec soin. Si je n’ai jamais coiffé de femme (Ce serait même plutot le contraire, passant le temps à les décoiffer…) j’ai néanmoins quelques connaissances acquise d’une toute autre façon.

“Veuillez éviter de bouger, je serais bien désolé de vous blesser sans le vouloir par maladresse. N’hésitez pas à m’avertir si c’est néanmoins le cas, j’essayerais de me faire plus doux.”

Les cheveux bleutés de la jeune femmes finirent tressés avec soin comme ceux des chevaux d’apparat, avant de finir attachés par le ruban bleu.Je lui décalleait alors la coiffure sur l’une de ses épaules pour dévoiler l’autre, n’ayant pas oublier ce second ruban blanc que je tenais toujours. Une épaule que j’eus bien l’envie d’embrasser un instant mais qui ne reçut, finalement, que la caresse furtive, à peine frôlé de mes doigts gantés. Un geste qui serait déjà sûrement déjà très mal vu pour la majorité des êtres de ce monde mais après tout n’était-ce pas juste pour trouver l’endroit parfait pour ce petit ruban nacré ? Mais ce serait tellement dommage de les recouvrir davantage d'un autre bout de tissu.

Je décidais de jouer l'innocence et l'intérêt pour ce ruban. Enfin était-ce vraiment du jeu ? Non, je prenais vraiment un plaisir à le glisser sur une épaule, puis sur l’autre, avant de revenir devant le belle Hazel en prenant toujours soin de ne pas écraser ces accessoires encore au sol. Je fais de mon mieux pour ne pas croiser son regard dans un premier temps, contemplant le haut de sa robe, avant de me décider à lui épingler du côté droit, entre la naissance de la poitrine et celle de l’aisselle. Ravie de mon choix, et de ne pas en profiter plus que ça malgré l’envie, je reposais mon regard sur elle.

“Je suis désolé, Mademoiselle. Je ne sous-estime pourtant pas la qualité de vos produits mais celle du modèle la surpasse bien trop. Elle attire davantage mon regard que les rubans.”

Quelle modestie. Véritable ou non, peu m’importe, j’aime les flatteries. Quoi qu’il en soit, je savourais du regard en silence les frissons qui parcouraient sa peau, signe qu’elle n’était pas insensible à mon charme. J’étais amusé qu’elle me trouve délicat, moi qui ai bien plus l'habitude de m’occuper des crins des chevaux que des cheveux de ses dames. Hors pour les détacher, cela va de soi.

Devant elle, je ne fais aucun geste pour rattraper les rubans qu’elle perdit en remettant une mèche, conscient que j’avais déjà bien trop frôlé la limite de la bienséance. Je l’écoutais, souriant, amusé, ravi de l’entendre rire avant de lui répondre :

“Les dames de la cour sont pour la plupart un masque de porcelaine sans vie qui se vendrait pour un titre, Mademoiselle. Leur beauté est éphémère alors que la vôtre gardera sa magnificence tant que vous ne succomberez pas aux faux semblant et à l’appel d’un monde d’or mais de glace.”

Je n'étais pas dupes, les jeux de charmes auxquels je jouais avec la noblesse n’étaient qu’une façon détournée d’attraper un cœur déjà brisé et un titre qui convient avec. C’était pourtant mal me connaître que de croire qu'accéder à mes bras permettait d'accéder à mon nom. Parmis ces dames, il y avait néanmoins quelques pépites tel que Victoire que j’avais été bien heureux de retrouver.

Mon regard se porta sur les rubans avant de revenir dans le sien. Je me penchait alors pour approcher mon visage du sien :

“Je vous achète le ruban dans vos cheveux et celui sur votre robe, mais je vous prie de les garder en pensant à moi, quant à ceux-la… Sachez que je ne suis pas un homme qui accepte facilement que l’on touche à sa chevelure. Mais peut-être pourrions nous convenir d’un échange équitable ?  Corps pour corps… Mes cheveux contre vos lèvres.”

Pour dire vrai, je me préparais bien plus à un refus qu'à un accord. Les dames sont si farouches, comme des jumeaux sauvages qui s'enfuient au galop à l’approche d’un prédateur. Ses hésitations, dites à haute voix, me firent penser que je réclamais peut-être un peu trop. Un ruban dans mes cheveux ne devait pas coûter autant à ses yeux non ? Alors qu’elle lança un regard tout autours de nous je m'apprêtais à me redresser en songeant que j’avais peut être avancer mes pions un peu trop tôt. Quelle ne fut pas ma surprise alors de sentir finalement ses lèvres contre les miennes.

Je n’allais sûrement pas la repousser, loin de là, encore moins quand je sentis son corps réduire le peu de distance qui nous séparait. Je glissais un bras autour de sa taille pour l’enlacer et la retenir contre moi, l’autre glissant dans sa nuque, caressant du bout des doigts ganté son cou alors que je dévorais ses lèvres. Quand j’avais proposé ce deal, j’avais en tête un baiser bien plus furtif, rapide et léger mais la voir y donner tant d’ardeur, je n’avais guère l’envie de lui faire part de ce petit malentendu. Surtout qu’il ne m’était pas du tout dérangeant.

Celui que cela dérangeait, c’était plus Herle. Bien que dos à nous, je ne doutais pas qu’il ai tout écouté attentivement. Il eus tout de même l'intelligence de me laisser un peu en profiter avant de tousser comme si l’air de la boutique était devenu étouffant. J’en quittais alors les lèvres de l’artiste que je libérais aussi de mon étreinte avant de lui prendre la main que je baissais légèrement, sourire aux lèvres:

“Mes cheveux sont tout à vous, Mademoiselle Thornton. Souhaitez-vous que je m’assois pour être à votre hauteur ? ”

La pensée de réclamer plus qu’un baiser tambourinait dans ma tête mais j’essayais de la faire taire. Dire que j’étais parti ce matin avec la ferme attention de rester convenable… Pourquoi l’unique me met dans de tentation sous les yeux ! Et le baiser n’avait rien arrangé à mes diverses envies que je devais réfréner… Discuter de son travail calmera peut-être nos envies communes ? Reprenant comme je le pouvais mon sérieux, je lui fit part de la commande qu’il me conviendrait.

“Pour ce qui est de la robe que je souhaiterais pour une amie, j’aimerais qu’elle soit simple mais séduisante, mais surtout pratique pour monter à cheval en amazone. Avez-vous les connaissances pour cela ?”

Je ne dis mot à ce petit geste provoquant de cette langue qui vient caresser le tour de ses propres lèvres, comme pour en garder le goût de ce baiser passionné, bien que cela ne fait que m’amuser davantage. J’ai comme l’impression que je vais pouvoir en quémander d'autres à notre prochaine rencontre et pourquoi pas… un peu plus ? Non, ce ne serait pas correct, l’Unique m’a envoyé un message pour que je me batte, que je retrouve ma place comme lors d’un retour en guerre, je me dois donc d'être le plus raisonnable possible pour le moment. C’était très tentant tout de même…

Lui servant moi-même de mannequin pour les rubans, assis, je posais mon regard sur la porte de la petite boutique, cherchant du regard la moindre pancarte qui préviendrait la possible clientèle que l’établissement est fermé… Par simple curiosité bien sûr… Ou besoin de préparer une future rencontre ?..

Je relevais le regard vers elle quand elle se mit à parler toute seule sur la commande que je lui faisais, esquissant un nouveau sourire face à ses mimiques et sa façon de parler plus à elle-même qu’avec moi. A ses questions, je posais mon regard dans le vide en réfléchissant. Quelle couleur irait bien à Victoire ?

“Quelque chose d’un peu naturel pour aller avec son teint de pêche et ses cheveux châtains… Peut être le brun du cuir avec du tissu vert mais ni trop sombre, ni trop voyant. Du vert lichen peut-être ? Agrémenté de quelques broderies d’argent mais très faiblement pour que cela reste simple tout en étant élégant. Oui, je pense que cela lui conviendrait. Je lui préférerais des manches longues mais avec un décolleté savoureux. Prévoyez aussi des gants fins et assortis afin qu’elle ne se blesse pas en tenant les rênes. Pour ce qui est des rubans, je peux vous laisser en mettre mais n’oubliez pas que cela doit rester sobre. Mieux vaut garder l’exubérance pour les bals et autres soirées.”

Je lui devais bien au moins une robe au vu de notre dernière rencontre ou je ne fus pas le plus… Princier…

“Quand pensez-vous que cela sera disponible ? Et connaissez-vous déjà le prix d’un tel ensemble?”

Mon regard se pose sur Herle, toujours en mode chien de garde, le dos tourné. Je souris alors dans sa direction.

“Tu peux te retourner Herle, l’honneur de Mademoiselle est sauf.”

Il ne se fit pas prier pour le faire, bien qu’il lança de nouveau un regard assassin à la jeune femme. Si je n’étais pas là, il lui vociférerait sans nul doute dessus en lui rappelant sa place et ses manières.

Je ne suis pas un grand admirateur du touché de tignasse. Comme je prends grands soin de ma crinière, je n’aime pas trop qu’on y glisse les doigts, excepté sous l’excitation d’un corps à corps passionnellement prenant. Pour autant, je suis un Prince, je me doit de n’avoir qu’une parole, je la laisse donc vaquer à cette occupation en me demandant bien quel en sera le résultat.

Sublime hein? J’esquisse un sourire. Je le suis tout le temps, ma chère. Quand a lui faire confiance, pour ce qui est de la couture, nous verrons bien, quand celle-ci sera terminée, si cela est mérité ou non. Trois semaines donc, pour faire une robe ? Est-ce vraiment si long que ça ? Soit. Je patienterais et je compte bien sur Herle pour me le rappeler. Il est fort à parier que d’ici là, j’aurais oublié cette visite et l’achat de cette robe. Il faut dire que je croise tellement de personnes en une seule journée. Quand elle designa le prix, je souris amusé avant de me relever de la chaise.

“Cela sera notre secret, Mademoiselle.”

Le regard d’Herle sembla apaiser les flammes du désir en elle alors que je venais vérifier ma chevelure devant un miroir. Cela me fait bizarre les rubans… Ce n’est pas affreux, certes, mais je me sens un peu comme une poupée.

“Je pense que cela sera tout. Herle ira demander aux suivantes de Madame Crowley ses mensurations afin de vous les transmettre. Bien entendu cela devra rester secret où la surprise n’en sera pas une.”

Je posais mon regard sur elle avec un sourire amusé.

“Je vous remercie pour votre écoute et vos soins de ma crinière. Je retiens également avec plaisir que vous restez à mon entière disposition.”

Revenant devant elle mais en respectant cette fois la distance adéquate, je hochais poliment la tête en prenant un peu plus de sérieux.

“Vous pouvez considérer que ce délai et ce prix me conviennent. Si je ne suis pas disponible pour venir récupérer la robe et les gants moi-même, Herle viendra honorer cette commande à ma place.”

J’ai un léger rire très furtif quand elle parle de récompenser ceux qui savent garder ses secrets. Comment pense-t-elle récompenser un Prince à sa juste valeur ? Le seul “présent” que j’aimerais lui est inaccessible. Enfin, il y aurait bien autre chose de plus simple et qu’elle possède sur elle à longueur de temps mais… je préfère l’avoir autrement que comme cadeau pour avoir garder ma langue dans ma bouche. D’ailleurs… La sienne est pleine d’énergie ahahah.

Je lui fait signe de se relever quand elle s’incline pour signer la fin de notre rencontre avant de hocher la tête :

“Il est vrai que c’est le hasard, ou le destin, qui m’a fait franchir les portes de votre boutique. Je suis habitué bien plus aux grands tailleurs qu’aux petites couturières, néanmoins si votre travail se montre exceptionnel, vous en serez grandement récompensé. L’Artistocratie a la fâcheuse habitude de recopier aux mieux les choix et préférences de leurs têtes couronnées. Nul doute que votre boutique s’emplira bien vite de nouvelles visites.”

Avec un sourire, j’offre un visage faussement désolé et un signe poli de tête :

“Diantre, je me rends compte que j’ai été plus que malpoli, j’ai négliger l’importance de me présenter : Prince Réginald Windcroft. Ce fut un plaisir de faire votre connaissance, Mademoiselle Hazel Thornton.”

Et voilà, le jeu s’arrête là pour aujourd’hui. Néanmoins je l’observe avec attention et amusement, guettant sa réaction. Son manque d’étiquette et de pudeur était-elle juste véritablement dû à son ignorance ou n’avait-ce n'était qu’un jeu de sa part également ? Dans tous les cas, cela m’avait bien amusé.