Et c’était là ton armure du jour. Paraître et être ce que l’on attend de voir, pour mieux observer ce que l’on ne montrerait pas à figure plus inquiétante.
La journée elle-même se déroulait avec une rigueur équivalente à celle accordée à ta tenue, chaque étape calibrée et minutée, éliminant toute incertitude alors que les heures passaient et que les rapports se multipliaient. Au moment où tu franchis le seuil de tes appartements, le carillon des cloches annonçait déjà l'arrivée de la délégation de Jadamur aux portes de la cité de Londonia. Consultant ta montre à gousset, tu constates avec satisfaction que tes prévisions horaires étaient exactes. Chaque tintement métallique te rappelle le poids colossal des enjeux de cette journée, pesant sur tes épaules déjà accablées de responsabilités que tu portes pourtant avec une nonchalance effrontée, vue de l’extérieur.
Sans un mot, tu t'avances à travers le palais pour rejoindre l’entrée, prenant la tête d'un cortège composé de conseillers, diplomates et ministres, tous plus tendus et anxieux que toi, conscients de l'importance cruciale de chaque instant de cette prochaine semaine.
Ta posture à l'entrée du palais est aussi inébranlable que les fondations de pierre sur lesquelles repose cet édifice, alors que tu te tiens là, sur le perron, les messagers t'informant que la délégation a entamé son avancée dans l'artère principale de Londonia. Plus que quelques instants, et ils seront à ta portée.
Aucun accident n’est a déploré en ville, pour le moment. Les citoyens, bien qu’intrigués, contemplent cette délégation majoritairement elfique qui porte sa noblesse comme si elle était innée, avec méfiance, mais sans cohue. Naturellement, les effectifs des Watchrunners avaient été renforcés pour toute la durée du séjour des Jadamuriens, prévenant toute éventualité fâcheuse susceptible de compromettre les relations avec le pays natal de la future reine...
Les minutes passent, et personne n’ose parler, pas même les domestiques les plus effrontés, alors que l’atmosphère reste tendue. Tandis que tu restes figé, droit comme la justice, sur le parvis du palais en compagnie de tes ministres et diplomates, la cour de la princesse vient compléter le comité d'accueil dans les temps. Après les révérences et salutations protocolaires, elle prend place à tes côtés, légèrement en retrait, conformément au protocole. Si le mariage avait déjà été célébré, bien sûr, elle se serait tenue à ta hauteur, mais il ne l’est pas, raison pour laquelle sa position ici est aussi ambiguë...
« Salutations distinguées, chère madame » déclares-tu, le regard fixé sur le portail du palais, comme si les enfers attendaient que tu le quittes des yeux un instant pour s’y déverser. « Je constate que mes efforts pour enrichir votre garde-robe ont porté leurs fruits. Votre éclat n'en est que plus grandiose, et je suis certain que votre père en sera ravi. » Bien que ton ton conserve une ambiguïté délibérée, il est légèrement plus tempéré qu'à l'accoutumée. Après tout, il y a du vrai dans tes mots : même si la princesse Faith est réduite à n'être qu'un pion dans ce jeu de pouvoir, le Duc prendrait fort mal qu'on néglige sa fille et qu’on ne lui accorde pas les toilettes d’une futur reine. Cela équivaudrait à faire affront à cette nouvelle noblesse elfique dans son ensemble, sûrement...
L'instant est solennel lorsque les imposantes portes du portail extérieur du palais s'ouvrent, révélant à la délégation la cour intérieure où la garde royale se tient déjà en formation impeccable. Les hérauts, trompettes d'argent à la main, se tiennent prêts. À mesure que les membres de la délégation de Jadamur franchissent le seuil du portail et pénètrent dans la cour, leurs noms et titres sont annoncés avec une voix forte et claire.
Au signal donné, la garde royale exécute une levée synchronisée de leurs épées, formant une voûte d'armes sous laquelle la délégation marche pour rejoindre le lieu où tu te tiens, roi Valerius, accompagné de la princesse Faith et de ta cour. Tu offres à chaque représentant un petit objet d'art soigneusement sélectionné par tes diplomates pour sa valeur symbolique et esthétique, tandis que la princesse distribue des fleurs cueillies dans les jardins royaux que lui tendent ses servantes.
Puis viennent les discours. Debout sur une estrade élevée, tu te tournes vers la délégation et les dignitaires présents. Le discours est long, appris par cœur, dit avec l’aisance de l’orateur habitué sans pour autant être excellent, mais qui a le mérite de ne pas avoir besoin de feuille pour se souvenir de ses mots. Tu es un acteur avant tout, et un acteur apprend son texte. « Nobles représentants de notre précieuse colonie de Jadamur, c'est avec une grande fierté que nous vous accueillons aujourd'hui au sein du royaume d'Albion, votre patrie impériale. Que cette rencontre serve non seulement à resserrer les liens qui unissent déjà nos peuples, mais également à illustrer l'harmonie et l'ordre qui règnent au sein de notre grand Empire. » Ce n’est évidemment que l’introduction, alors que s’en suite de longs paragraphes pompeux sur un avenir radieux interracial, le bien fondé de la diplomatie et des alliances, et autre détails ajoutés là par tes conseillers plus enclin que toi à brosser les dignitaires étrangers un maximum dans le sens du poil. Malgré ta propre pensée face à cela, tu n’en montres rien, alors que tu joues ton rôle, donnant le ton et l’intention qu’on attend que tu donnes à ce texte.
Il faut une dizaine de minutes pour que tu parachèves ton allocution, avant que, conformément au protocole, le chef de la délégation étrangère ne s'avance à son tour. Il s'agit de l'un des fils du Duc, frère de la princesse, parfaitement au fait des délicates nuances des rapports de pouvoir. Avec une tactique empreinte de délicatesse, il rebondit sur ton discours, exprimant avec éloquence sa « gratitude pour l'auguste hospitalité d'Albion et l'insigne honneur d'être convié en ces lieux chargés d'histoire », tout en tissant habilement son récit avec des fils d'unité impériale et de coexistence interraciale. De façon prévisible, son allocution est plus brève, empreinte d'une sobriété calculée – le protocole dictant qu'aucun orateur ne saurait éclipser l'éclat du souverain. Tel est l'édit immuable : tous doivent se résigner à vivre dans l'ombre que tu projettes, les obligeant tous à s'inscrire dans l'ombre que tu jettes, et à plier le genou si nécessaire, pour ne point outrepasser ton rayonnement. Tu es le soleil de cet empire, une étoile solitaire au destin aussi insaisissable qu'inconfortable pour toi, toi qui est encore hanté par l'absence des ombres tutélaires de tes précédents rois. Cette lumière royale, loin de te réconforter, te semble chaque jour plus proche d’une aveuglante épreuve...
Les discours sont terminés, désormais, et des musiciens postés sur les balcons supérieurs entament une mélodie douce, suivie d'une courte représentation de danse traditionnelle, enrichissant la cérémonie d'une touche culturelle. Tout est minutieusement orchestré, du choix des morceaux joués à la sélection des danseurs, afin de souligner le raffinement et l'importance de l'occasion. Et cela dur, et dur encore. Et tout ce que vous pouvez faire, c’est jouer le jeu, évidemment.
Les dernières révérences et salutations échangées, la délégation prend la direction de ses quartiers, laissant derrière eux un sillage de murmures et de révérences. Dans le même temps, les conseillers et les ministres se retirent peu à peu, leurs voix feutrées et leurs flatteries excessives te parvenant comme à travers un voile, tant ton esprit est ailleurs. À vrai dire, la lassitude s’empare de toi, non pas de celle qui se plaint ou qui s’abandonne, mais de celle qui rêve d’un moment de répit, fût-il bref. Un bain, voilà la pensée qui t'habite, un désir si intense pour la chaleur enveloppante de l’eau qui saura détendre tes muscles endoloris et apaiser la froideur qui te gagne malgré les riches atours de ton rang. Il reste plusieurs heures avant que vos invités ne soient installé et que le banquet du soir ne commence, alors pourquoi ne pas profiter ? Tu signales discrètement à Thomas, qui, comprenant aussitôt, disparaît pour préparer ce havre temporaire où, le temps d'un instant, tu ne seras plus roi, mais simplement un homme en quête de chaleur et de quiétude. Juste un instant bien sûr, mais un instant salvateur quand même pour ta santé mentale. Pour un bref instant, tu ne souhaites rien d'autre que de t'envelopper dans l'oubli confortable que promet le bain à venir, avant que la réalité de la couronne ne vienne de nouveau frapper à la porte de ta conscience.
Tandis que tu t'éloignes, l'image de la princesse effleure ton esprit, sa présence à tes côtés tout au long de la cérémonie n'ayant été qu'une exigence de plus dans la longue série des protocoles. Tu imagines qu'elle est tout aussi assoiffée de solitude que toi, désireuse de retrouver son frère loin des fastes et des contraintes de l'étiquette.
En laissant derrière toi le théâtre des cérémonies officielles, tu t'éloignes sans chercher à croiser son regard une fois de plus. Inutile de la chercher pour le moment, tu préfères de loin la laisse elle aussi vaquer à tout ce qui saurait l’éloigner de toi le plus longtemps possible…
Yeux sombres, cœur cruelAn unwavering beacon bound by a crown of thorns, his heart a silenced tempest in a cage of duty.
KoalaVolant