que d'être aimé
En ce moment de calme feint, tes pensées s'aventurent dans les méandres ténébreux de ton passé en Alpia, un labyrinthe sombre où tu as appris que la crainte est un outil bien plus tranchant que l'affection ou le respect. Tes études là-bas n'étaient pas seulement axées sur l'intimidation, mais sur la capacité à en faire un raffinement cruel, un art macabre : chantage implicite, intimidation gracieuse, menace charmante et manipulation délicate. Tout cela était destiné à t'apprendre à instiller la peur dans les esprits, aussi bien par les mots que par les actes, toujours en vue de retourner les situations à ton avantage. Armé d'un arsenal redoutable pour déstabiliser, dominer, et contrôler, tu n'as jamais été façonné pour inspirer l’honneur et la dévotion, mais plutôt pour forger la crainte et la terreur dans le cœur des ennemis de ton roi. Et c'est ce que tu as fait, n'est-ce pas ? Pendant le règne de ton père, puis dans l'ombre de ton frère, quand bien même ce dernier ne voulait rien de tes talents, aveuglé par sa bêtise idéaliste que tu n'arrives même pas à lui reprocher, alors qu'il voulait tant emprunter un chemin de respect et de bienveillance pour unifier les races. Sa bonté, hélas, l'a conduit à une chute tragique que tu n’as pu que constater, une ironie du sort qui t'a enchaînée à ce trône empoisonné, comme une punition divine pour ne pas l’avoir sauvé de lui-même…
Non, assurément, tu refuses de suivre ses traces, quand bien même il t’a forcé à rester enchaîné à ses idéaux. S’il te faut te battre pour une cause qui n’est pas la tienne, alors soit, mais ta couronne sera celle de la crainte, et non pas de la compassion comme la sienne. Tu n’en as de toute façon aucune pour ceux qui ont osé assassiné l’homme que tu admirais pour la force de ses idéaux. Si le changement qu'il voulait n'est pas accepté, alors tu l'imposeras de force. Si c’est là ce que t’oblige à être le respect pour les dernières volontés d’un mourant, alors tu seras le monarque qui unira Elfes et Hommes, mettant fin à un cycle sempiternel de rejet et de haine, quitte à endosser le rôle du tyran pour se faire. Les serviteurs autour de toi, retenant leur souffle, illustrent à merveille le pouvoir de la crainte que tu manies avec une habileté sinistre. C’est ce pour quoi tu as été forgé, à quoi s’attendaient-ils ? Le palais en a déjà fait les frais : les démissions forcées, les interrogatoires musclés, la chasse aux espions et autres charognards a déjà purgés ces murs, ton règne est devenu un théâtre d'ombre et de suspicion, où le Noble Jeu a repris sa juste place dans les mains de la couronne.
Perdant ton regard dans les reflets de la fenêtres qui te fais face, tu les examines d’un œil sceptique. C’est le reflet d’un souverain implacable, d’un roi qui sera craint, mais qui ne connaîtra jamais les privilèges de la loyauté admirative, que tu observes. Ils ont tué le meilleur d’entre vous, ils devront désormais faire avec le pire. Tu seras détesté Valerius, honni, ton nom et celui de tes enfants bâtards demi-elfes seront maudits jusqu'à l'usure. Il n'y aura aucun affront, aucune insulte qui ne te seras épargnés… Mais tu l’acceptes, car tu enracineras la peur si profondément dans leur conscience, qu’ils n’oseront même pas toucher à ces enfants qu’ils mépriserons dans leurs silences, gardant toutes leurs insultes pour les endroits où tes oreilles ne pourront aller. Et si la mort doit être ton destin, alors soit, qu'ils se préparent au déluge, car tu emporteras Albion dans les méandres d’une guerre civile si c’est là le seul moyen que le changement se fasse. L'idée te déplaît, mais si Albion doit sombrer pour mieux renaître après l’ombre des carnages, alors tu accepteras ce destin. Peu importe les méthodes, tant que le résultat te convient, hm ?
L’horloge du salon égrène soudainement ses sons, te tirant de tes pensées sombres. Quatorze heures sonnent. Avant même que la résonance de la seconde sonnerie ne s’éteigne, tu t'es déjà éloigné de ta contemplation solitaire près de la fenêtre pour te diriger vers l'ensemble d'assises disposé dans le salon. Tu t'attends à ce que ton invitée du jour soit scrupuleusement ponctuelle, car l'enjeu de cette rencontre est inextricablement lié à son propre destin. Elle ne saurait se permettre l'audace d'un retard, du moins si elle est aussi perspicace que le laissent entendre tes rapports.
Ah, oui, les rapports ! Tu en possèdes sur tous les hauts gradés de l'Église, surtout depuis qu'elle est devenue ta principale cible, après avoir – temporairement – terminé avec les fonctionnaires du palais. Car c'est elle, l'Église, qui tient entre ses mains le cœur même de cette intrigue : les paroles sacrées de la prophétesse divine et sa condamnation impérissable de l'hubris elfique, cette raison primordiale pour laquelle les Hommes continuent de persécuter les Elfes pour des fautes depuis longtemps éteintes. C'est un fait indéniable : c'est cette pièce maîtresse que tu dois faire plier, voire briser si nécessaire. Si seulement Alexander avait compris son importance, la véritable force de l'Eglise, c'est devant elle, et non le parlement, qu'il aurait dû en premier lieu proposer ses réformes. Cela n'aurait probablement pas modifié la résistance acharnée rencontrée, mais il aurait peut-être alors saisi à quel point ils s'accrochent à leurs privilèges de classe, telles des charognes se repaissant de leurs proies. Non, l'Église n'est assurément pas un adversaire à prendre à la légère, c'est donc avec une minutieuse gravité que tu as récemment commencé à mettre en branle tes plans avec une froideur implacable.
D'abord, ce fut une vague de départs anticipés.
Officiellement, nul n'avait été contraint, mais un nombre étonnamment élevé d'ecclésiastiques, farouchement opposés à l'avènement de nouvelles réformes, avaient subitement choisi la retraite, laissant derrière eux leurs charges, et offrant ainsi la place à de nouvelles figures. Il faut le reconnaître, tu sais faire preuve de clémence envers ceux qui, docilement, n'ont fait que se plier aux volontés supérieur à la leur. Une fois les informations essorées de leurs lèvres, ils avaient disparu hors d'Albion, emportant avec eux la promesse formelle de ne jamais revenir de leur exil volontaire, au risque de passer de vie à trépas.
Puis survinrent les premiers assassinats. C’est alors que la ruche s'était mise à bourdonner, et que ceux qui n'avaient pas encore clairement choisi leur camp entre réformateurs et conservateurs commencèrent à vaciller. Comme tu le suspectais, ceux qui avaient assassiné Alexander se cachaient en partie dans les rangs de l'Église. Cependant, tu n'avais pas réussi à leur arracher beaucoup d'informations, ne trouvant pas les cerveaux de l'opération aussi aisément que tu l'avais orgueilleusement pensé. Cela te fit doucement comprendre que les tentacules de ce groupuscule étaient bien plus profondément enracinées en Albion que tu l’avais d’abord pensé, raison pour laquelle il pouvait ainsi rester dissimulés à tes yeux, du moins pour le moment. Mais un problème à la fois, n'est-ce pas ? D'abord les réformes et le mariage, ensuite viendra le temps du sang et de la vengeance.
Car oui, c'est là ton objectif primordial à l'heure actuelle, celui qui presse avec une urgence implacable : transformer le mariage à venir avec la princesse Faith avant qu'il n'ait inévitablement lieu. Oh, tu ne fais pas ça en en quête d'acceptation - tu n'es pas assez naïf pour croire que quelques mois suffiront pour cela - mais si tu parviens à faire en sorte que l'Église ne le traite plus comme un sacrilège, ce sera un premier pas décisif vers le changement. Car c'est dans l'évolution des mœurs que réside le germe de toute acceptation d'un bouleversement profond. Et qui, sinon l'Église, pour dicter au peuple quelles mœurs sont acceptables ou non ?
Pour imposer un changement aussi audacieux en si peu de temps dans une institution aussi enracinée dans ses valeurs, il te faut frapper avec force, rapidité et sans la moindre pitié, réduisant au silence les voix qui s'élèveraient pour contester, éteignant dans l'œuf toute opposition, avant d'élever la voix du progrès et du changement plus haute que toutes les autres. Et c'est précisément pour dénicher l'incarnation de cette voix que tu reçois aujourd'hui une Évêque prometteuse, apparemment désireuse d'échapper à cette purge des puissants…
Mais reste concentré, Valerius, ne prends rien pour acquis, rien pour définitivement gagné. Tout ce qu'elle consentira à faire, elle le fera par opportunisme. Pour elle avant tout. Elle ne t'est pas loyale, vos intérêts se croisent simplement, et tu le sais très bien. Traite-la en conséquence, avec cette défiance prudente et ce discernement aiguisé qui ont toujours été les compagnons dans ta montée solitaire au pouvoir. Poses les pièces de ton échiquier avec prudence.
« Lady Évêque, soyez la bienvenue au palais de Stirlingham », déclares-tu en te levant pour l'accueillir. Un signe de tête respectueux accompagne tes paroles alors que tu indiques du geste les fauteuils richement ornés, suivant l'étiquette à la lettre. En parfait gentleman, tu incarnes la quintessence de la courtoisie : manières irréprochables, sourire empreint de civilité, et des mots choisis avec soin. Tu sais te donner l'apparence de l'honorable, c'est un fait, car c'est derrière ce masque de politesse, que ton esprit à l'affût capte bien mieux ce que les mots ne disent pas.
Comment ? Oh non, tu n'abordes pas les sujets politiques tout de suite. D'abord, il faut endurer les formalités ennuyeuses, les banalités superficielles. C'est la règle, l'étiquette, et il faut toujours respecter les règles du jeu, même face à celles où la tricherie est impossible. Cette contrainte te frustre, mais c'est le jeu à jouer, désormais. Alors, tu apprends à maîtriser ton agacement sous un trop-plein de patience. Un serviteur s'avance, discret mais efficace, pour servir le thé, tandis que sucre et lait sont proposés. Cette boisson, qu'elle soit consommée ou non, sera le compagnon silencieux de vos échanges, un rituel qui rythmera le tempo de votre conversation. Prenant la tasse pour l'amener à tes lèvres, et ainsi permettre à ton invitée de faire de même, tes yeux ne quittent pourtant pas ta cible, que tu observes prudemment sous ta fausse courtoisie, attendant de voir ses premiers pas dans ce jeu de mensonge sophistiqué. Et dire que sous tout cet apparat, se tisse les fils d'une toile dans laquelle se jouera peut-être le sort d'un royaume...
Yeux sombres, cœur cruelAn unwavering beacon bound by a crown of thorns, his heart a silenced tempest in a cage of duty.
KoalaVolant