Le soleil avait d'ores et déjà dépassé le zénith quand le son des sabots des chevaux résonna sur les pavés du quartier d'Islington Bridge. Les animaux se contentaient de trottiner légèrement, permettant la progression prudente de l'hippomobile à travers les ruelles étroites qui composaient le quartier. Habitué des manœuvres les plus compliquées, le cocher guidait les chevaux d'une main de maître, hélant les importuns qui se mettaient en travers de sa route. Grâce à sa conduite assurée et dynamique, ils ne tardèrent pas à atteindre leur destination. D'une ultime traction sur les lanières de cuir, l'homme fit s'arrêter les chevaux avant de mettre pied à terre pour aller ouvrir la porte du véhicule.
Une jeune femme en sortit prudemment en veillant à remonter suffisamment sa robe pour ne pas trébucher par mégarde lors de la descente. Vêtue d'une élégante robe de soie d'un bleu profond, assorti à ses yeux, elle réajusta le châle qu'elle portait sur ses épaules pour le faire glisser autour de sa taille. Une parure d'or plongeait vers sa poitrine, elle-même rehaussée par le corset que la brune portait à la taille. A sa suite, une femme plus âgée, que les affres du temps avait tassé sur elle-même, sortit à son tour, arborant une tenue distinguée si ce n'était plus simple. Après avoir demandé au cocher de les atteindre, Selen reporta son attention sur l'atelier qui leur faisait face, étudiant la demeure en silence.
« Madame... Je persiste à croire que vous n'étiez pas obligée de vous déplacer en personne. Et si vous salissiez votre tenue ? »
« Il me suffirait de lui passer une nouvelle commande. »
Sans réellement se préoccuper des craintes de son interlocutrice ou de sa propre nonchalance quant aux dépenses de la famille, la brune frappa doucement contre le bois de la porte pour annoncer sa venue. N'obtenant pas de réponse, la jeune femme se saisit de la poignée pour entrer. La pièce baignait dans la lumière timide du jour, ce qui ne l'empêcha pourtant pas de remarquer une silhouette. Hazel gisait là, le haut du corps avachi négligemment sur son bureau. Une vision qui arracha une exclamation étouffée à la vieille femme.
« Oh Seigneur ! Est-elle... ? »
« Calme toi, Ginet. Elle respire. »
De ce qu'il restait de la bougie allumée de la veille, Selen remarqua les légers vacillements de la flamme surplombant la cire, au gré de la respiration de la couturière. Inutile d'être un grand détective pour comprendre ce qu'il s'était passé. L'intéressée s'était tout simplement endormie sur son croquis, épuisée par de longues journées de dur labeur. Balayant la pièce du regard, la brune s'empara d'une feuille de papier qu'elle roula à la manière d'un parchemin entre ses doigts gantés. Sans perdre un instant, elle abattit son arme improvisée sur la tête d'Hazel, en un coup pas trop violent mais suffisamment fort pour réveiller la couturière. Quand elle obtint l'entière attention de cette dernière, Selen s'autorisa un froncement de sourcils.
« Ais-je tort de croire que tu as passé la nuit à ton bureau ? Oh Hazel... Comment puis-je espérer tes plus belles créations si tu ne te reposes pas correctement ? »
Telle une mère soucieuse alors qu'elles avaient le même âge, voilà qu'elle reprenait son interlocutrice sur ses mauvaises habitudes.
La nuit avait été tellement longue pour Hazel... Comme beaucoup d'autres finalement. Cela lui avait demandé de nombreux efforts pour pouvoir réussir à tout mettre en œuvre pour les prochaines livraisons. Plus le temps avançait et plus nombreuses encore les Dames de l'aristocratie et de la bourgeoisie se faisaient une joie de prendre commande des choses parfois loufoque dans les robes. Mais après tout, ce n'était pas le rôle de la couturière de refuser cela. Plus de gens portaient ses vêtements, plus il y aurait de personnes à lui faire des demandes... Et si cela continuait sous les meilleurs conditions, alors son rêve deviendrait réalité.
Mais son urgence principal était bien entendue sa robe la plus importante de toute sa garde-robe. Si une personne méritait d'avoir la plus belle création à chaque fois, ce qu'il pourrait même être qualifié d’œuvre d'art, c'était bien sa mécène. Selen Morvell. Cette dernière avait fait commande de quelque chose d'exemplaire pour les prochaines soirées et pour la roturière c'était donc le symbole qu'il allait y avoir par la suite du travail. Instruction simple, après tout, c'était de faire la plus belle des robes pour une personne afin de créer une certaine jalousie, d'apporter bien plus d'envie et de créer l'argent. Evelynn en avait parlé à la douce Hazel et c'était en partie ce qui avait crée un certain succès. Espérer pouvoir égaler ce qui se faisait de plus beau lors d'un bal...
Cela faisait déjà de biens nombreuses journées, et nuits, que la douce Dame se plongeait corps et âmes dans cet entremêlement de tissue... Sans froufrou qui plus est, afin d'y créer la perfection incarnée. Mais pour la fille Thornton, ce n'était jamais assez bien. Il manquait de ceci, ou trop de cela. Des rubans qui lui semblait mal ajustés.... Il y avait toujours quelque chose de travers. C'était d'ailleurs un énième soucis de fils un peu trop long et de couleur mal ajusté qui vint à maintenir éveillée Hazel très tard dans la nuit. Reprenant alors ses croquis et ses dessins sur sa table de couture principal afin de réfléchir à une nouvelle façon d'aborder le problème, malheureusement pour la douce roturière, il vint le moment où l'envie de poser son crâne sur le bois légèrement frais devint trop tentant. Sous une pile de quelques feuilles pour rendre le tout plus confortable... Puis ce fût l'envie de fermer les yeux juste quelques secondes pour aérer l'esprit et puis... Et puis... Le sommeil.
Des rêves pleins de rubans, de robes et de Dames portant ses créations, où elle même pourrait résider, reconnue, acclamée... La douceur de la chose faisait sourire la pauvre couturière endormie qui dût malheureusement reprendre pied à la réalité après un coup bien placé sur le coin de la tête. Ressentant une légère douleur sur le coin de sa tête, le corps entier vint à se relever sous la surprise du choc, un léger crie aiguë sortant de sa bouche. Que se passait-il? Pourquoi on venait de la réveiller? Des voleurs? Un assassin? Prise entre le stress et l'incompréhension, couplée au sommeil qui tiraillait ses sens, il fallut un certain temps à la jeune femme pour retrouver ses esprits, voyant alors en face d'elle la beauté incomparable de sa mécène.
"D-d-Dame Mo-Morvell!" Bredouilla la rêveuse le visage blême face au strict visage, sourcils froncés de celle qui avait fait-d'elle une couturière du futur.
Il ne fallut pas longtemps pour qu'Hazel ne se lève de sa chaise en un instant, avant de faire la révérence la plus parfaite qu'il puisse être se souvenant des cours reçue pour cela. Restant la tête basse alors qu'une réprimande lui arriva sur le coin de la figure. Une remontrance bien mérité il fallait l'admettre. Après tout, c'était pour elle que la fille Thornton faisait tout cela. Sans sommeil, il y avait toujours la peur de louper un détail et cela était inadmissible...
"Je... Je suis désolé, Dame Morvell... J'ai en effet passé toute la nuit sur votre nouvelle commande."
Se relevant alors sans autorisation, espérant que sa mécène lui pardonne ce petit écart de conduite, un léger sourire s'était affiché sur le visage de la rêveuse, ses cheveux en bataille cachant par-ci par-la quelques parties de sa peau.
"A ce sujet, d'ailleurs, sachez, ma Dame que je peux déjà vous assurer que le résultat sera incroyable! Toute les autres personnes jalouserons votre tenues je peux vous le promettre!"
Basculant légèrement sa tête sur le côté, faisant ainsi bouger ses cheveux, son sourire était resté le même, étincelant.
"Vous me faites confiance, n'est-ce pas, Dame Selen?" Demanda alors la pauvre roturière, prête à montrer un peu plus loin, une robe magnifique sans la moindre trace de froufrou...
La réaction que sa présence à l'atelier suscita chez la jeune couturière amusa intérieurement Selen. De toutes évidences, cette dernière ne s'attendait pas à la voir en ces lieux, ni même qu'elle ne la surprenne en train de dormir sur son bureau ! Heureusement qu'Hazel se reprit bien assez vite, effectuant même une référence à son attention. Ce qui plut tout particulièrement à la brune, qui appréciait que ses interlocuteurs d'un statut plus modeste au sien se rappellent de son rang et par extension, de sa supériorité par rapport à eux en plus de constater que la couturière n'oubliait pas les bonnes moeurs. Cela n'empêcha pas Selen de la réprimander, achevant son reproche pour venir croiser les bras sous sa poitrine. Elle aurait pu balayer les excuses de son interlocutrice d'une main si un détail dans celles-ci n'avait pas immédiatement attiré son attention.
« Vraiment ? J'ose espérer que celle-ci avance bien si tu es en réduite à sacrifier tes nuits. »
Et comme si le simple fait de parler de son dernier ouvrage réveillait l'esprit créatif d'Hazel, cette dernière redressa la tête avant de s'y voir autorisée, ses lèvres s'animant de plus belle, suscitant toujours plus de curiosité chez la brune. Ses sourcils se froncèrent toutefois de plus belle et elle asséna un nouveau coup de son armé improvisée sur le sommet du crâne de son interlocutrice.
« Quand une dame s'adresse à toi, tu dois attendre qu'elle t'autorise à relever la tête. Si tu espères côtoyer un jour les grands de ce monde, tu ferais mieux de ne pas l'oublier Hazel. »
Cela dit, elle se détourna de la couturière pour reposer la feuille de papier à l'endroit où elle l'avait trouvée. Dès lors que ses doigts se détachèrent de l'objet, celui-ci se déplia instantanément pour retrouver sa forme d'origine. Une difficile bataille faisait à présent rage dans l'esprit de Selen. Les bonnes mœurs exigeraient d'elle que la jeune femme se montre digne de son statut, refusant de céder à la curiosité que son interlocutrice avait fait naître. La présence de sa chaperonne Ginet aurait pu l'y aider. Cependant, les mots qui jaillirent ensuite de la bouche d'Hazel eurent raison de sa patience.
« Je sais que le résultat sera à la hauteur de mes attentes. Cela a toujours été le cas, ton talent n'est plus à prouver. Je ne m'inquiète pas pour cela. »
A ce stade, ce n'était même plus une question de confiance entre elles. Tout en parlant, elle reporta son attention sur le visage de la couturière et en décelant la même impatience chez cette dernière, la brune s'autorisa un sourire complice pour la première fois depuis son arrivée à l'atelier. Pesant une dernière fois le pour et le contre, Selen finit par demander :
« Pourrais-je la voir ? »
Forcément qu'Hazel était toujours surexcitée lorsqu'il s'agissait de ses créations. Si bien trop souvent le spectre de mal faire venait à lui serrer le cou et lui faire peur quand à ses capacités, les moments où elle considérait son art comme parfaitement accomplie était un enchantement des plus pures! Alors bien entendue, la pauvre roturière fit l'erreur de se relever trop vite, oubliant pourtant une règle qui avait pourtant été bien souvent, trop souvent répété par sa mécène. Mais cela semblait si absurde! Attendre que l'autre personne vous demande de vous relever? Cela pouvait prendre tellement de temps parfois, et la roturière n'était pas du genre à perdre son temps. Mais hélas, les règles de la noblesse étaient absolue.
Et les enfreindre donnait court à une punition. Quand la fille Thornton vit les sourcils de Selen se froncer, elle savait automatiquement que les prochaines secondes ne seraient définitivement pas agréable. Reprenant un nouveau coup sur le dessus de la tête, la douce rêveuse laissa un nouveau petit crie de douleur. Bon, certes, ce n'était pas la chose la plus douloureuse qu'elle pouvait subir, s'étant bien trop souvent piquer les doigts, mais tout de même! C'était en plus humiliant. Baissant alors légèrement la tête, signe de sa défaite tout en baissant encore plus bas les yeux, la couturière vint à ouvrir sa bouche, résignée."
Veuillez excuser mon manque de sérieux, Dame Morvell... Je ferais en sorte de ne pas oublier la leçon qu'une grande Dame m'offre. Et je vous promets de ne surtout point vous faire honte le jour où je verrais les autres grands de ce monde."
Peut-être exagérait-elle un petit peu les choses dans sa façon de s'exprimer, mais après tout, Hazel ne souhaitait certainement pas subir une nouvelle fois un coup sur la tête. De toute façon, qu'aurait-elle fait sinon? Tenir tête à sa mécène alors qu'elle lui offrait tellement de choses? Définitivement pas. La roturière était une personne qui souhaitait rembourser toute ses dettes, mais surtout, faire plaisir à la personne qui lui a offert une main vers les sommets, et surtout, vers la possibilité d'accomplir sa promesse.
Puis quand la noble vint à poser plus loin le bout de papier, un léger soupire de soulagement sortie de la bouche de notre protagoniste. Si jamais elle devait se reprendre un coup, ce ne serait pas tout de suite. Nul doute de toute façon que Selen n'irait pas à lui asséner un coup de ses propres mains. Pas sûre que ce soit très protocolaire au plus grand plaisir de la jeune femme qui souriait d'autant plus face à la curiosité de sa patronne. Et, comble du bonheur, elle reçue même un délicieux sourire offrant une puissante complicité. Il n'était jamais facile de vraiment savoir ce qui pouvait se tramer dans l'esprit de la fille des Morvell mais... A ce moment la, c'était plutôt évident. Et même si elle le fit, il n'était certainement pas utile d'employer le moindre mots pour qu'Hazel s’exécute. "
Avec le plus grand plaisir, ma Dame."
Dit-elle, offrant à sa mécène une nouvelle révérence, plus rapide, en se reculant vers la partie de la boutique où étaient entreposées ses créations. Invitant alors ses invitées de marque à la suivre. Ce n'était pas tout les jours que l'on pouvait voir son travail avancer, proche de la fin. Souvent ce n'était que ses croquis, ses premières confections ou le produit final. Mais à cet instant, la fille Thornton était bien trop fière de son boulot pour ne pas montrer sa création proche d'être terminée. Montrant un mannequin sous un drap blanc, avec un léger côté théâtrale, Hazel prit une fausse voix, légèrement plus grave."
Pour Dame Morvell, voici la robe "L'étoile parmi les ténèbres"."
Puis, baissant le drap, toute les personnes présentes dans la salle purent voir la robe. D'un noir aussi profond que les ténèbres les plus abyssaux couplée de nombreux tissues d'une couleur d'or magnifique contrastant ainsi le manque de lumière par l'étincelant. S'approchant alors de Selen, Hazel vint à tourner autour d'elle, regardant alors rapidement le corps de sa mécène et la robe. Une des rares excentricités de la jeune femme. Même si elle avait beau avoir crée déjà plusieurs choses en son nom, le corps des gens évoluait constamment. Le poids, les muscles... Une nouvelle coupe à la mode, une façon de se tenir différente. Et si c'était le cas, il lui fallait analyser cela pour apporter les dernières touches et les derniers rubans."
Vous ne semblez pas avoir changée d'un poile, Dame Morvell. Vous êtes toujours aussi magnifique. Cette robe se mariera parfaitement avec vos cheveux, et si vous portez sur vos lèvres quelque chose de sombre, ce sera encore meilleur. Avec le bleu de vos yeux en plus on aura sans aucun doute affaire à la reine de votre futur soirée!"
Continuant de tourner tout en analysant son modèle et sa robe, le sourire de la fille Thornton ne faisait que s'agrandir. C'était déjà une immense chance d'avoir la possibilité d'être aidée dans l'investissement de son entreprise par une noble, mais que ce soit en plus une ravissante personne qui portait aussi bien la robe? Aucun doute la dessus. Ce fût d'ailleurs avec un chuchotement complice qu'elle s'adressa de nouveau à sa patronne."
Vous êtes une muse pour mon art, sachez le, Dame Morvell." Puis, s'arrêtant enfin dans sa ronde, face à Selen, elle reprit paisiblement, souriante. "
Qu'en pensez vous?"
Pour son plus grand plaisir, Hazel s'exécuta immédiatement une fois que sa requête ait franchi ses lèvres. La brune n'aurait pas apprécié d'avoir à se répéter ou même devoir insister pour découvrir l'objet de sa convoitise. Une impatience que la couturière semblait avoir compris au gré de leurs échanges, heureusement pour elle. Observant cette dernière s'animer de plus belle pour les inviter à la suivre vers le fond de sa boutique, Selen s'autorisa un regard en biais adressé à sa chaperonne, son sourire soudain aux allures victorieuses étirant ses lèvres. Ignorant l'expression toujours désapprobatrice de Ginet, la jeune femme finit par emboîter le pas à la roturière, progressant prudemment par moments de crainte de se salir.
Son attention ne tarda cependant pas à être attirée par l'apparition d'une troisième silhouette dans la pièce. Le mannequin recouvert d'un drap blanc semblait narguer sa curiosité et la brune dut se mordre la lèvre inférieure pour ne pas s'en saisir et découvrir ce qui se cachait en dessous. Sa persévérance paya finalement quand Hazel se décida à délester le mannequin de son drap, annonçant le nom de sa création par la même occasion d'une manière théâtrale sinon grotesque aux oreilles de la jeune femme. Mais ce qu'elle découvrit par la suite balaya tous les commentaires cyniques qui lui venaient à l'esprit concernant la roturière. Le hoquet de stupeur dans son dos l'avertit que Ginet n'en croyait pas davantage ses yeux qu'elle-même. La brune ne pouvait détacher son regard de la robe, s'imaginant sans peine la porter lors d'une soirée.
« Elle est magnifique Hazel... » souffla-t-elle au bout de plusieurs secondes.
Plus que jamais, Selen reconnaissait le talent de la couturière. Cette dernière avait parfaitement compris comment mêler le sobre et le somptueux, créant une tenue capable de convenir en cette période de deuil royal sans pour autant abandonner l'élégance qui seyait à ceux de son rang. Avec cette robe, elle pourrait s'offrir aux regards dévorants ou envieux tout en respectant les conventions. Une manière incroyable de précéder la sortie du deuil national sans pour autant se montrer expéditive. Aux prises avec ses pensées, la brune ne remarqua pas immédiatement l'intérêt dont elle fut l'objet et ce fut la voix d'Hazel qui la ramena au moment présent.
« A la reine dis-tu ? Voyons Hazel, tes compliments m'embarrassent... » minauda-t-elle sur un ton faussement gêné.
Au contraire, ils coulaient comme du miel dans le creux de son oreille. Si seulement, ils pouvaient se concrétiser... La suite des propos de son interlocutrice fit renaître un sourire sur ses lèvres. Sans se défaire de celui-ci, la jeune femme combla la distance qui les séparait, rapprochant son visage de celui d'Hazel alors qu'elle s'accordait une douce caresse sur la joue de la roturière.
« Tu sais qu'il existe bien des façons de considérer sa muse... ? »
Le raclement de gorge de sa chaperonne retentit soudain et Selen sut qu'elle ne devait pas insister davantage en présence de cette dernière. Ravalant un soupir de frustration, la brune se recula immédiatement pour se détourner aussitôt de la couturière comme si de rien n'était et s'intéresser de nouveau à la robe.
« Je pense que tu n'aurais pas pu mieux comprendre mes souhaits. Elle est tout simplement parfaite Hazel ! »
Tout en parlant, la jeune femme se glissa derrière le mannequin pour soulever les manches de la robe comme si elle la portait présentement.
« Elle m'ira à ravir, n'est-ce pas Ginet ? »
« C'est certain Madame mais... »
Sans même écouter la réponse, Selen poursuivit sur sa lancée, se tournant cette fois vers la roturière, tout sourire.
« Penses-tu que vêtue ainsi, je saurais séduire mon futur mari Hazel ? » demanda-t-elle avec une innocence feinte.
Voilà! Voilà ce qui était divin à chaque fois qu'Hazel présentait une nouvelle robe à quelqu'un. Observer la réaction des gens. Pouvoir apprécier la moindre micro-expression de joie, de plaisir. Se flatter de leur surprise, voir l'évolution du visage qui adorait... Et bon sang, c'est exactement ce qu'elle voyait au travers de sa mécène et de son accompagnatrice. Alors en plus pouvoir entendre le souffle de Selen qui lui disait que c'était magnifique... La jeune roturière en venait à se mordre si fort la lèvre inférieur d'un profond plaisir de joie qu'elle aurait pût s'en faire mal. Cela lui avait demandée tellement de temps, d'effort, d'argent... Même si c'était l'argent de Dame Morvell après tout... De si longues nuits blanches à essayer, réessayer, voir, analyser, s'améliorer... Alors que tout ces efforts soient payant par un silence aussi puissant... Si le risque d'être sévèrement punie par sa mécène n'était pas aussi haut, il n'y aurait eu aucun doute que la fille Thornton ne se soit mise à sautiller comme une enfant. Hélas, tout ce qu'elle pût faire ce fût de répondre aux quelques paroles de la noble.
"Je fais de mon mieux pour vous faire honneur à chaque instant, Dame Morvell..."
Une façon aussi de la remercier de sa confiance, de son investissement aussi bien en temps qu'en argent... Loyale, généreuse et prête à tout, la roturière appréciait encore plus faire plaisir à celle qui lui a tendue une main si solide pour atteindre ses rêves plus facilement.
Et forcément, se perdant dans la grandeur de cette scène, admirant la future réelle maitresse de sa création, il était bien difficile de ne pas laisser quelques compliments sortir de sa bouche. Encore plus lorsque ces derniers semblaient trouver une douce résonance chez Selen qui minaudait, flattée. Cela dit, probablement qu'à vouloir trop jouée dans la flatterie et la grandeur, la couturière vint à se perdre. Quand sa douce muse vint bien plus proche d'elle, caressant sa joue d'un impact si délicat, un puissant frisson vint à parcourir la totalité de la colonne vertébrale de la roturière qui se retrouva encore plus rouge que n'importe quelle tomate face aux paroles de Dame Morvell. Rendant d'ailleurs le contraste avec les yeux et cheveux bleues de la jeune femme encore plus intense.
Frustrée elle aussi de l'intervention de Ginet qui vint à briser ce moment complice, Hazel dont la couleur de sa peau n'avait pas du tout changer avait au moins eu, par cet électrisant échange fait suffisamment bouillir son esprit et son âme pour imaginer des centaines... Non, des milliers de vêtements différents à créer pour Dame Morvell. Et à chaque fois de la plus prestigieuse qualités. C'était après tout le stricte minimum pour une personne d'un si haut rang. Comme pour profiter un dernier instant du toucher de sa financière, la dame au cheveux bleue passa sa main sur sa joue, un léger sourire aux lèvres. Puis, elle vint à s'incliner humblement par la suite face aux compliments de sa muse, un simple rire innocent vint d'abord à sortir de la bouche de la fille Thornton.
"Vos compliments sont un immense honneur Dame Morvell. Une robe parfaite pour une noble parfaite. Je pense qu'il y a de quoi faire une paire gagnante à tout les coups."
Un léger brin d'humour afin d'accompagner une douce flatterie, le tout avec un simple ricanement. Hazel voulait faire de son mieux pour rendre cette découverte aussi unique qu'incroyable. Une chose qu'elle avait apprise à force de montrer des robes, c'est que la noblesse semblait adorer la magie de cet instant. Découvrir, analyser et posséder ce qui avait été crée. Et forcément, la roturière essayait d'en tirer partie à son avantage. Mais malgré tout, quand il s'agissait de Selen... C'était l'envie de lui faire plaisir, qui ressortait, plus que de profiter de quoi que ce soit.
Ainsi, voir ce beau nom d'Albion toucher la robe, la faire sienne faisait resplendir le visage d'Hazel d'un large sourire. Si sa mécène aimait, alors elle était fière de son travail. C'était probablement sa pièce maitresse actuellement... Mais le but, c'était qu'elle ne le soit plus d'ici les prochains mois.
Face au sourire et à la question de Dame Morvell, un gloussement sorti de la bouche de notre protagoniste qu'elle vint à cacher en partie en posant sa main sur sa bouche. Une fois fini et en pleine possession de ses moyens, la fille des Thornton vint à afficher son plus chaleureux sourire avant de rejoindre sa muse en quelques enjambés. Se mettant du côté de la noble, soulevant à son tour manches et autres parties de la robe pour montrer l'amplitude de cette dernière et tout les différents détails sur les dorures, les décorations et la noirceur principal du vêtement.
"Le séduire, ma Dame? Allons, même sans je n'ai aucun doute la dessus. Avec? Vous risquez de provoquer l'explosion des duels pour avoir votre main." Relevant doucement la tête pour regarder Selen droit dans les yeux, Hazel vint à lui sourire de nouveau. "Je vous l'ai dis après tout, la paire gagnante! Regardez, touchez... La qualité du tissue, la beauté des courbes... Permettez moi, je vous prie..."
D'abord hésitante, Hazell vint à prendre le tissue pour le diriger vers la main de Dame Morvell plutôt que de faire l'inverse, pensant que ce serait plus proche de l'étiquette au vue de sa situation. Son but étant de montrer vraiment la qualité de l’œuvre et qu'avec ça... Avoir donné le nom d'étoile à cette robe n'était pas une surestimation. Encore plus portée par une si belle noble. Ah, la plus grande tristesse de cette histoire aux yeux de la jeune roturière, c'était clairement qu'une âme si grande puisse se retrouver entre les bras d'un imbécile mais puissant et richissime enfant de grande famille... Soupirant à cette tragique idée, il ne fallut l'affaire que de quelques secondes pour que la fille Thornton ne retrouve le sourire.
"Qui serait assez fou de toute façon pour résister à une si grande lueur après tout? Il faudrait être soi aveugle, soit clairement de mauvais goût." Hochant négativement la tête, Hazel reprit de nouveau. "Il me reste à peine deux trois petites bricoles à rajouter et peaufiner mais elle est clairement déjà utilisable. Je vous l'enverrais demain si vous le souhaitez. J'aurais fini ce soir, mais je sais à quel point vous êtes une personne occupée ma Dame."
Prendre toute la journée d'une noble en tant que simple habitante de seconde zone? Clairement, c'était de la folie, et Hazel le savait bien. Mais la couturière comptait bien profiter de chaque instant passé avec sa mécène et sa création.
Une noble parfaite selon les termes de la roturière. Sans doute qu'aux yeux de cette dernière, toutes les belles dames de ce monde constituaient la perfection incarnée. Mais qu'était-ce donc réellement que la perfection ? Était-ce la vertu, celle-là même que l'on enseignait aux jeunes filles de bonnes familles dès le plus jeune âge ? L'art d'exceller dans le domaine de son choix ? Ou encore une silhouette gracieuse sur laquelle n'importe quelle robe s'en trouverait sublimée ? Des trois, Selen se savait appartenir uniquement à la dernière catégorie, pour le moment du moins. Si seulement la couturière avait la moindre idée de ses arrières-pensées, certainement qu'elle ne la considérerait plus comme parfaite. Toutefois, la franche réponse de Hazel étira brièvement les traits de son visage sous l'effet de la surprise. Cela ne dura pas car l'instant d'après, la brune éclatait d'un rire sincère. Le son cristallin monta jusqu'au plafond de l'atelier avant que la jeune femme ne parvienne à se reprendre, plaçant une main devant ses lèvres malgré l'amusement qui lui secouait toujours les épaules.
« Allons Hazel ! Il existe bien d'autres prétendantes plus jeunes que moi pour qui on acceptera de se battre en duel. A ce rythme, je risque davantage de finir au couvent ! »
Un discours qu'elle s'entendait que trop souvent répéter. Même parmi la cour de la princesse Séraphine, son âge ne passait pas inaperçue. Beaucoup s'étonnaient qu'une femme à la dote si alléchante n'avait pas encore trouvé parti dans le mariage. Sans rien perdre de son expression amusée, Selen observa son interlocutrice la rejoindre. Se prêtant volontiers au jeu, la brune parcourut du bout des doigts le tissu que lui présentait la couturière, au travers d'un geste volontairement lent comme si elle prenait plaisir à découvrir l'éventuel corps qui se cachait en dessous. Après tout, le rouge montant aux joues d'Hazel plus tôt ne lui avait pas échappé et la jeune femme comptait bien en profiter malgré la présence de sa chaperonne. Et voilà que la roturière venait de lui fournir l'excuse parfaite pour cela !
« Pourquoi ne pas régler ces quelques détails dès à présent ? »
Son regard accrocha celui de son interlocutrice, l'expression soudain plus sérieuse même si toujours teintée d'espièglerie.
« Pour savoir si elle me va, il me faut l'essayer. Ainsi tu pourras faire les ajustements nécessaires. »
« Madame ! Vous ne pouvez pas faire cela ici ! Ce serait indigne d'une jeune femme telle que vous ! »
« Qui parle de me changer à l'atelier ? »
Son attention se posa brièvement sur Ginet avant de revenir à la couturière.
« Il y a suffisamment de place pour nous trois dans la calèche pour qu'Hazel nous accompagne jusqu'au manoir. Il me tarde déjà d'essayer cette robe ! »
A l'image d'une enfant gâtée, la brune ne s'entendait pas refuser ce semblant de caprice. En vérité, elle espérait bien se retrouver seule avec la roturière pour revoir ce rouge inonder les joues de cette dernière.
« Qu'en dis-tu Hazel ? » demanda-t-elle avec un doux sourire.
Il fallait admettre une chose, parmi les nombreuses réactions que pouvait avoir Selen face aux compliments et à la façon de voir les choses d'Hazel, cette dernière ne pensait pas que ce serait un rire sincère qui l'accueillerait. Intriguée, levant un sourcil tout en penchant délicatement la tête sur le côté, la couturière ne savait pas vraiment comment réagir face à cela alors que son teint retrouvait probablement enfin son rose habituel, plus loin du rouge intense d'il y a quelques instants. La jeune roturière ne savait si c'était une moquerie de par sa candeur ou juste car la chose faisait rire la noble. Il fallut attendre encore un petit peu avant que sa Muse ne reprenne son aire plus sérieux bien que toujours marquée par l'amusement. Puis la surprise devint stupeur face aux paroles de la mécène. Finir au couvent? Que des jeunes passent devant-elle sur le champs des duels? Cela paraissait tellement impensable... Même si les échos de ce qu'il se passait dans la noblesse se retrouvait parmi la bourgeoisie et même chez les roturier, cela semblait tout de même bien différent. Pour Hazel qui n'avait que vingt-six ans, elle savait qu'il lui restait peut-être deux ans avant de vraiment se mettre à chercher un mari pour faire des enfants. Mais Dame Morvell qui avait presque son âge, malgré son nom et sa prestance ce serait déjà une quasi condamnation? Impensable! Portant sa main droite sur le cœur, la fille Thornton reprit alors la conversation.
"Aucune prétendantes, même plus jeune ne possède l'aura que vous avez, Dame Morvell! Et aucune prétendante ne possède une couturière aussi dévouée et travailleuse que je puisse l'être! Je suis persuadée que vous ne finirez pas dans un couvent et que vous montrerez que vous resterez la plus belle des fleurs."
Il était assez rare que la jeune femme aux cheveux bleutées se jette des fleurs ou puisse se vanter mais... Quand il s'agissait de le faire pour surélever quelqu'un d'autre, encore plus quelqu'un dont elle était dépendante, c'était clairement différent. La disparition de sa mécène dans la religion serait, pour la rêveuse un désastre. Aussi bien pour son apport en finance mais aussi pour son art. Et puis, cela lui briserait le cœur de moins côtoyer la charmante dame aux cheveux noirs comme les ténèbres.
Et alors que le temps passait, qu'Hazel présentait sa robe proche de sa Muse, profitant de la délicatesse de ses mouvements, de la lenteur de ses derniers, il était difficile pour la couturière de ne pas sourire délicatement face à tout cela. Reprenant pied avec la réalité quand on lui parla, la roturière leva un sourcil interloqué face au regard accrochée de son interlocutrice. Régler les détails maintenant? Est-ce qu'elle lisait dans ses pensées? C'était presque perturbant. Mais le simple fait de pouvoir travailler sur sa robe aux côtés de Selen. Mais encore une fois, la maudite Ginet semblait vouloir briser toute tentative d'offrir à leur maitresse commune son présent le plus rapidement possible à travers la bienséance et l’Étiquette. Il fallut un certain effort pour que la jeune femme ne montre pas une certaine frustration, même si son regard indiquait clairement que cela l'ennuyait d'être arrêtée pour la deuxième fois...
Mais Dame Morvell elle, semblait avoir déjà vue bien plus loin qu'un simple contre temps, proposant non pas de faire les modifications ici, dans l'atelier d'Hazel, mais belle et bien le faire au manoir. Il ne fallut pas longtemps pour que le regard de la fille Thornton ne s'illumine. Pouvoir terminer la robe et la faire porter à sa Muse le jour même? C'était inespérée! Elle aurait alors l'occasion de la voir la porter, la voir l'essayer et voir sa magnifique beauté en action combinée à son art sans avoir à attendre une maudite soirée de la haute sphère! Alors face au doux sourire de sa mécène, notre protagoniste vint bien rapidement à hocher la tête délicatement, essayant de suivre le protocole en ne se montrant pas trop impatiente.
"Ce sera avec plaisir Dame Morvell. Il me faut juste prendre un peu de tissue, quelques équipements et nous pouvons partir dans les prochaines minutes."
On pouvait malgré tout facilement lire l'impatience et la joie dans la voix de la roturière. Si la noble pouvait semblait ressembler à une enfant capricieuse, Hazel n'était guère mieux dans cette situation qui la comblait entièrement. C'était beaucoup trop important pour ne pas vouloir clôturer cela et faire plaisir à sa muse le plus tôt possible. Si l'envie primaire de pouvoir terminer son chef-d’œuvre le jour même, il y avait malgré tout une légère envie qui montait en elle, quelque chose de plus difficile à déchiffrer pour la pauvre jeune femme qui ressentait de puissantes pulsation dans son cœur à l'idée d'aller chez sa Muse après le petit moment de complicité qu'il y eu quelques instants plus tôt.
Sourire sur le visage, la jeune femme s'éclipsa rapidement, allant justement chercher ce qu'il lui fallait. De quoi découper, ajuster, lier, quelques petites étoffes de tissues, des rubans... Le tout vint bien vite se retrouver dans le sac à travers des déplacements experts de la jeune femme qui ne voulait pas perdre une minute. Ensuite, il ne restait plus qu'à déshabiller le mannequin pour récupérer la robe et...
"Je suis prête à partir, Dame Morvell! Je vous promets que sur vous, ce sera quelque chose de bien plus magique qu'un pauvre mannequin!" Toujours le sourire aux lèvres, la jeune femme offrait son visage le plus radieux à celle qui lui offrait un futur étincelant dans la mode.
Accueil
Dernières images
Rechercher
Membres
Groupes
S'enregistrer
Connexion
