Mais les questions sont dangereuses, car elles amènent des réponses. | |
Un mécène c'est quelque chose d'important, non ? La question lui picota les lèvres un instant avant qu'elle ne préfère se taire. Elle n'a pas pensé à demander sur l'instant lorsqu'il fallut emballer tenues et étoffes pour le transport. Le principal travail de Lénore, lorsqu'elle accompagne Hazel dans ses déplacements, se limite finalement à bien peu de choses : porter, emballer, déballer, remballer. Un travail qui parfois pourrait mieux convenir à un garçon. Mais elle s'exécute et en plus docilement, sans dire mot, à défaut de pouvoir se rendre utile autrement. En fait depuis son entrée dans la vie de la couturière, on ne l'avait jamais entendu se plaindre de quoi que ce soit, mais on ne pouvait pas dire qu'elle était la meilleure compagnie qui soit tant elle parlait peu. La principale qualité de Lénore est son sens de l'observation, elle est si discrète, si bien que la plupart du temps on la remarque à peine - malgré ses airs de poupée juvénile, comme si le simple de ne pas en avoir conscience pouvait être capté par les autres - et lorsqu'on la remarque on croit avoir affaire à une simplette qui ne se rend compte de rien alors les langues se déliaient. Alors qu'elle-même n'avait presque pas parlé, si ce n'est pour les salutations d'usage à leur cliente. Tout simplement elle savait observer sans accabler l'autre d'un regard lourd et jugeant. C'est ce qu'elle constata une fois de plus quand son instructrice la congédia, une fois que tout le matériel fut installé. Le reste ne la concernait - ou en tout pour l'instant - pas, elle préférait encore endurer les jugements le personnel de la maisonnée qui s'affairaient pour le déjeuner, que ceux des nobles qui cachaient bien souvent le dégoût derrière le mépris qu'ils avaient pu avoir à ses égards ces derniers mois. Préfèrant grignoter son repas dans un coin où elle ne pouvait pas gêner en écoutant d'une oreille plus ou moins attentive les commérages. La petite blanche était bien incapable de se mêler à une foule encore plus particulièrement d'inconnus. Alors, le temps qu'il faut, elle observa se curieux manège, et cela put durer un certain temps. Et enfin on l'a rappelait, quand elle commençait tout juste à s'agacer des commérages impudiques. Elle se perd un peu dans les couloirs, usant de la plasticité de son esprit pour se rappeler du bon chemin, mais elle ne traîne. Lénore n'aime pas particulièrement ces grandes demeures nobles où on laisse bien trop de place à la lumière qui abîme ses yeux, où l'art profane pratiquement le naturel. Pourtant elle aimait invariablement l'art, même si elle n'était pas ici pour nourrir ses yeux pas plus que son âme. Alors elle pousse la porte, se glisse dans l'ouverture, ses pas ne produisent pas un son. Un rapide regard dans la pièce lui confirme que la dame qu'elle sert doit être occupée ailleurs, il était bien rare qu'elle se retrouve ainsi seule. Enfin, il faut bien un début à tout. Alors elle retira ses gants, ce qui était plus commode pour réarranger les rouleaux de soie, et entreprit de ranger tout ce qu'elles avaient pu apporter. Il pouvait y avait quelque chose d'agréable à l'observer sous ses airs de poupée, ses cheveux d'or attachés en une queue de cheval à l'aide d'un ruban. Mais un œil aguerri peut-être en mesure de percer à jour la jeune nymphe, qui bien qu'elle donne l'impression de ne se servir de son corps que comme d'un simple véhicule dans sa tenue noire et sobre de servant qui ne parvenait pas à empêcher la lumière de venir à elle pourtant son protecteur avait commandé de nouveaux vêtements plus adaptés pour la ville, mais ses anciens lui convenaient mieux. Elle cache en réalité un esprit en perpétuelle ébullition et ses mires azuréennes capables de transpercer les gens comme si elle pouvait lire en eux comme un livre ouvert. Et pourtant son regard n'errait que rarement au-dessus de la ligne du sol, puisqu'elle avait pleinement conscience de sa place. Ainsi qu'une beauté naturelle que toute la crasse du monde ne saurait dissimuler. Pas même les cicatrices, la moins notable était celle discrète sur sa tempe gauche presque parfaitement dissimulée dans ses cheveux, les deux autres à ses poignets sur tout le contour, larges de deux doigts comme si l'on avait voulu enfoncer quelque chose dans la chair fragile de cette zone jusqu'à l'os. Sans doute l'une des raisons de son usage excessif des gants. |
Vous m'avez condamnée à l'oubli.